Beaucoup de gens croient que « Algérie » est le nom original du pays. Pourtant, ce n’est pas le cas. Ce que nous appelons aujourd’hui l’Algérie a un nom bien plus ancien, profondément enraciné dans son histoire, sa langue et sa culture. Le vrai nom de l’Algérie, tel qu’il est utilisé par ses propres habitants depuis des siècles, c’est Al-Jazā’ir.
Al-Jazā’ir : le nom qui a résisté aux conquêtes
Le mot « Al-Jazā’ir » vient de l’arabe الجزائر, qui signifie « les îles » - mais pas les îles de la mer. Il fait référence aux petites îles rocheuses qui se trouvaient autrefois dans le port de la capitale, devant la citadelle de la Casbah. Ces îles ont disparu depuis, comblées au fil des siècles, mais leur nom est resté. Les habitants de la région les appelaient « Jazā’ir Banī Mazghanna », les îles des tribus de Mazghanna, une ancienne dynastie berbère. Ce nom a été adopté par les Arabes au VIIIe siècle, puis conservé par les Ottomans et les Français, même s’ils l’ont déformé en « Alger ».
En 1962, après l’indépendance, le pays a choisi de revenir à sa dénomination historique et linguistique : Al-Jazā’ir. C’était un acte politique autant qu’identitaire. Rejeter le nom colonial « Algérie » - dérivé du français « Alger » - c’était affirmer une souveraineté culturelle. La Constitution de 1963 a officialisé « République Algérienne Démocratique et Populaire » en français, mais en arabe, elle s’appelle Al-Jumhūriyya al-Jazā’iriyya ad-Dīmuqrāṭiyya ash-Shaʿbiyya. C’est ce nom-là qui est utilisé dans les documents officiels, les discours nationaux, les médias et les écoles.
Le nom que les Algériens disent chez eux
Si vous demandez à un Algérien d’où il vient, il ne dira pas « je viens d’Algérie ». Il dira : « Je viens d’Al-Jazā’ir ». Même dans les régions où l’arabe n’est pas la langue maternelle - en kabyle, en chaouia ou en tamazight - les gens utilisent des variantes locales du même mot. En kabyle, on dit Yezayer. En chaouia, Yezayer aussi. En tamazight, Yezayer ou Yezayer n Tmazight. Ce n’est pas une question de langue, c’est une question d’identité. Le nom est le même, même si la prononciation change.
Les jeunes Algériens, même ceux qui parlent français à l’école ou sur les réseaux sociaux, savent que « Al-Jazā’ir » est le vrai nom. Ils le mettent dans leurs tweets, leurs chansons, leurs poèmes. Le groupe de rap MC Solaar n’est pas algérien, mais quand des artistes comme Idir ou Cheb Khaled chantent « Al-Jazā’ir », c’est un cri de fierté. Ce nom n’est pas un mot du dictionnaire. C’est un symbole.
Algérie : un nom colonial, pas un nom national
Le mot « Algérie » vient du français « Alger », lui-même dérivé de l’arabe « Al-Jazā’ir » par une déformation européenne. Les colons français ont utilisé « Algérie » comme nom de territoire dès le XIXe siècle, pour effacer les racines locales et imposer une identité coloniale. Ce n’était pas un nom de peuple, mais un nom d’administration. Pendant 132 ans de colonisation, les Algériens n’ont jamais accepté ce terme comme leur identité. Ils l’ont utilisé sous la contrainte, mais jamais avec fierté.
Après l’indépendance, le gouvernement a fait un choix clair : garder le français pour les affaires internationales, mais réaffirmer l’arabe comme langue nationale et le nom « Al-Jazā’ir » comme identité fondamentale. C’est pourquoi, dans les écoles, les enfants apprennent dès le CP que leur pays s’appelle Al-Jazā’ir. Les timbres-poste, les billets de banque, les drapeaux officiels - tout porte le nom arabe. Le nom « Algérie » est un outil de communication externe, pas une identité intérieure.
Les autres noms historiques de la région
Avant même l’arabe, la région avait d’autres noms. Les Romains appelaient la côte occidentale de l’Afrique du Nord « Mauretania Caesariensis », du nom du roi berbère Juba II. Les Grecs parlaient de « Libye », mais ce terme couvrait tout le nord de l’Afrique, de l’Égypte à l’Atlas. Ce n’était pas un nom spécifique à la région actuelle de l’Algérie.
Les tribus berbères avaient leurs propres noms pour les territoires. Les Zénètes appelaient leur territoire « Tamasna », les Kabyles « Tamazgha ». Ce dernier mot - Tamazgha - est aujourd’hui utilisé par les mouvements culturels berbères pour désigner l’ensemble des terres berbères, de la Libye à l’Atlantique. Mais ce n’est pas le nom du pays. C’est un nom culturel, pas politique.
Al-Jazā’ir, lui, est le seul nom qui a survécu à toutes les transformations : berbère, arabe, ottomane, coloniale, indépendante. Il est à la fois géographique, historique et politique. Il ne vient pas d’un conquérant. Il vient des gens qui vivent là depuis des millénaires.
Comment le nom apparaît dans la vie quotidienne
Si vous visitez Alger, vous verrez des panneaux en arabe avec « الجزائر » écrit en grand. Dans les marchés, les vendeurs disent : « Hadi Al-Jazā’ir ! » (C’est de l’Algérie !). Les bus ont des affiches avec « Al-Jazā’ir » en arabe et en français. Les écoles publiques affichent le nom officiel en arabe. Les journaux comme El Watan ou Le Soir d’Algérie utilisent « Al-Jazā’ir » dans leurs en-têtes arabes.
Le nom apparaît aussi dans les noms de rues, d’avenues, de places. La grande avenue centrale d’Alger s’appelle Place des Martyrs en français, mais en arabe, c’est Sāḥat al-Shuhadā. Les monuments, les musées, les universités - tout porte le nom arabe. Même les stations de métro à Alger ont des noms en arabe, comme Al-Jazā’ir pour la station centrale.
Et si vous allez dans le Sud, dans le Sahara, vous entendrez les Touaregs dire : « Al-Jazā’ir » - pas « Algérie ». Même les étrangers qui vivent là depuis des décennies apprennent à dire « Al-Jazā’ir » pour être respectés. C’est une question de reconnaissance. Dire « Algérie » en arabe, c’est comme dire « France » en français en parlant de la République française. C’est correct, mais c’est une version étrangère.
Le vrai nom, c’est celui que les gens utilisent
Un pays n’est pas défini par les cartes que les colons ont tracées. Il est défini par les mots que ses habitants prononcent chaque jour. L’Algérie, c’est Al-Jazā’ir. Ce n’est pas une question de langue, ni de politique. C’est une question d’appartenance.
Quand vous voyagez en Algérie, que vous visitiez les ruines de Timgad, que vous marchiez dans les ruelles de Constantine ou que vous dégustiez un couscous à Oran, vous êtes dans Al-Jazā’ir. Ce nom ne change pas selon la langue que vous parlez. Il reste le même. Il est vivant. Il est profondément ancré dans la terre, dans la mémoire, dans les chants.
Le nom « Algérie » est un mot d’importation. Le nom « Al-Jazā’ir » est un mot de naissance.